Le texte ci-dessous est extrait de l’ouvrage (1) de Jean-François Ladoucette, préfet des Hautes-Alpes durant le premier Empire, et historien bien connu de ce département. Quatre-vingt ans après le curé Antoine Albert, il décrit un village florissant au sortir du premier Empire, et donne plusieurs éléments historiques intéressants, notamment à propos de la présence des Templiers à Remollon, de la production viticole, et de la construction de la nouvelle église Notre Dame des Victoires (2).
« Entre les rochers escarpés de Rousset et Tallard, dans l’endroit le plus large de la vallée arrosée de la Durance, est placé le village de Remollon, dont la seigneurie appartenait jadis à l’abbé de Boscodon, au seigneur de Théus et au marquis de Bellafaire qui y tenait un bateau sur la rivière, pour les communications entre le Dauphiné et la Provence. Ce charmant petit bourg est couronné au nord, à l’est et à l’ouest, autant que la vue peut s’étendre, d’un vignoble très productif, ayant à ses pieds une plaine fertile conquise, à l’aide de 2000 mètres de digues, sur la Durance depuis 50 ans, et en pleine production. Sa population est de 605 habitants. Douze communes, tant des Hautes que des Basses-Alpes, l’environnent à peu de distance et y apportent leurs produits, tout en payant tribut à son industrie et en développant son commerce, qui devient chaque jour plus important.
Toutes les maisons y sont réunies dans une même enceinte. Les nouvelles constructions, qui datent de 30 ans, sont de bon goût et lui donnent un aspect de régularité et d’aisance qui étonne le voyageur.
La route départementale de Gap à Remollon, ouverte en 1822 avec des travaux et des contradictions incroyables, est parfaitement entretenue et améliorée. On termine un pont en belle pierre à un kilomètre du bourg. Ce nouveau travail a le double avantage de donner au pays une avenue en ligne droite, bordée de plantations et d’une riche végétation, et d’encaisser un torrent qui parfois coupe toute communication avec Gap.
A part l’olivier, l’oranger et le citronnier, qui ne viennent pas ici en pleine terre, on trouve dans les environs tous les fruits du midi et en excellente qualité.
Remollon seul produit, année commune, 10.000 hectolitres de vin que l’on croirait difficilement, à quelques années de date, avoir été recueillis dans les Alpes. On y a inventé, il y a 38 ans, pour tailler la vigne, des ciseaux à ressort qui ont figuré à l’exposition de l’industrie, et ont été demandés pour servir à celles de Clos-Vougeot.
En 1829 une société d’actionnaires entreprit de remplacer la mauvais bac par un pont de fer, qui a malheureusement été emporté par une crue considérable en 1843. Les 10.000 francs promis par l’Etat pour aider à sa reconstruction ont déterminé les actionnaires à en reprendre les travaux ; il sera bientôt livré au public. Il est difficile de situer l’époque où Remollon commença à prendre quelque importance. Deux choses du moins sont positives : la première, c’est qu’avant leur suppression en 1311, les Templiers y avaient une maison dont les tours crénelées subsistent encore, une chapelle de style gothique qui communiquait à la maison par un souterrain et adossée à un clocher admiré des voyageurs par son élégance et ses formes dégagées ; la seconde, c’est que l’emplacement actuel de Remollon ne fut d’abord occupé que par les celliers de Théus, village à 3 kilomètres vers la montagne nord-est. Insensiblement, les forêts qui couvraient la montagne jusqu’à la Durance furent remplacées par des plantations de vignes, l’accessoire devint le principal, et tandis que Théus voyait son territoire rongé par les ravins jusqu’à ses premières maisons, et sa population (actuellement de 504 âmes) ruinée par le jeu, malgré des ressources en tout genre, Remollon devenait le centre obligé de la vallée et le rendez-vous de la bourgeoisie du département, qui y multipliait ses acquisitions et venait profiter de ses belles automnes et de la fertilité de son sol.
Jusqu’en 1842, Remollon n’avait d’autre église que la chapelle des Templiers dont il est parlé plus haut, et qui n’était plus en rapport avec la population, soit pour les dimensions, soit pour l’emplacement. M. Martel, alors curé, fit un appel au zèle des habitants par une souscription qui donna 8000 francs, et avec ces faibles ressources, dans l’espace de huit mois, il dota le pays d’une belle église en forme de croix grecque, au haut du bourg, à gauche du chemin qui conduit à Saint-Etienne d’Avançon. Elle a plus de 400 mètres de vide, avec dôme, chapelles spacieuses, etc. Quand tout fut terminé, malgré des obstacles et des oppositions infinies, l’État accorda un secours de 5000 francs, et la commune vota 3000 francs ; ces deux sommes réunies sont loin de couvrir les frais du pauvre curé. Mais il a été abondamment dédommagé par le dévouement de cette population qui, sans distinction de condition, de sexe, d’âge, et semblable à une fourmilière intelligente, a travaillé tous les soirs durant plusieurs mois, jusqu’à minuit, à monter sur une pente ardue des pierres et du sable pour se procurer un lieu de prières. La plupart de ces généreux travailleurs avaient employé leur journée aux plus pénibles labeurs de leurs terres, et semblaient se reposer en employant la moitié de la nuit à des charrois no moins rudes. Les dames même portaient du sable dans leurs cabas. M. Martel fut secondé dans cette œuvre pieuse par M. Colomb, qui en 1806 a sculpté avec un albâtre transparent et sans tache un médaillon très ressemblant de l’empereur»
(1) Ladoucette J.C.F. Histoire, topographie, antiquités, usage et dialectes des Hautes-Alpes. 1848. Laffite Reprints. Marseille
(2) Le vrai vocable de cette église est en fait « Notre Dame de l’Assomption », tel que l’a voulu Mgr. Irénée Depéry qui l’a consacrée en 1843. La tradition et l’usage populaires ont retenu celui de « Notre Dame des Victoires », qui était celui souhaité par le curé Auguste Martel à qui le village doit la réalisation de cet édifice qu’il a menée de but en bout dans des conditions difficiles.